mardi 17 mars 2009

Saudade

Parfois, sans raison, mon regard se fixe vers un point au delà, imaginaire, qui n'existe que pour moi. Mes yeux se voilent d'un voile de tristesse passager comme ces pluies d'été qui tombent soudainement sans raison. J'ai cette saudade dans le sang, celle que chante Cesaria Evora. Elle est plus forte que moi. Sans raison, elle me prend. Sans raison elle part aussi rapidement qu'elle est venue. Je ne puis la transcrire avec des mots alors je vais essayer de l'expliquer avec un peu d'histoire.

Jadis, mon peuple naviguait sur tous les océans. Vasco de Gama, ouvrant la porte des Indes. Magellan, le portésien. Pedro Alvarès Cabral. Henri le navigateur, prince et voyageur. Sans doute leurs fantômes reviennent hanter la Tour de Belem, le monument des découvertes, et faire entendre leur complainte dans les rues du vieux Lisbonne, quand le soleil a terminé sa course derrière les remparts du Castel Sao Jorge. Peut-être les entend t-on dans les couloirs du musée de la Marine, déambuler dans les coursives des caravelles exposées là, symbole désormais d'un passé révolu pour un pays qui se targue désormais d'être modernisé. Peut-être discutent t-ils à mi mot de leurs rêves de gloire d'antan, puisqu'ils ne sont plus que des noms dans les manuels d'histoire.

Ils ont ramené des épices, noix de muscade et clous de girofle, mais aussi de l'or. L'odeur de la cannelle, que je reconnais entre mille, me revient toujours comme un aimant, d'aussi loin que remontent mes souvenirs d'enfant. Ils ont apporté la désolation en colons orgueilleux ; dont l'orgueil a été de croire qu'ils apportaient la civilisation. Un petit peuple qui se morfond dans ses souvenirs de grandeur perdue comme un paradis inaccessible ; cette ligne d'horizon qui s'enfuit sans cesse à mesure que l'on s'approche d'elle.

Et puis il y a le fado, ce curieux chant mélange de joie et de larmes. Chant de l'exil et de la peur de l'oubli. Peuple nomade à la croisée de l'Europe et de l'Afrique. Chacun de mes compatriotes a dans sa famille quelqu'un qui est parti au loin, et moi aussi je ressens ce besoin de partir. Amalia n'est plus mais ses successeurs ont repris le flambeau dignement. Le fado ou le destin. D'aucuns pensent que ce sont les marins les premiers qui l'ont entonné afin de se remémorer leur terre natale.

C'est plus que de la nostalgie, bien plus que de la mélancolie. C'est un sentiment assez étrange à expliquer pour celui qui ne vient pas de là bas. Moi j'ai forgé ma propre définition qui est celle-ci "avoir la nostalgie de quelque chose que l'on a jamais connu". Paradoxe que je vis depuis ma naissance.

Je terminerais en citant les vers du plus illustre de nos poètes, Luis de Camões :

« Tout me manquait, et le Temps et le Monde,

Quel secret si ardu et si profond !

Naître pour vivre, et manquer, pour la vie,

De tout ce que lui réserve le monde.

Ne pas pouvoir la perdre

Alors que tant de fois on l'a déjà perdue… »

11 Avis intrépides:

Lux a dit…

Moi qui n'aime pas la poésie, je dois avouer que ce morceau est très, très joli...

ma vie intrepide a dit…

En fait, ce passage résume la vie de Luis de Camões, mais j'ai trouvé qu'il expliquait bien la saudade.

Anonyme a dit…

ça donne envie d'y aller! Surtout les épices...

ma vie intrepide a dit…

Anonyme, quoi qu'il en soit, je crois que c'est inscrit dans mes gênes et celle de mon "petit pays" de partir toujours au loin. C'est un des éléments expliquant cette fameuse saudade si difficile à expliquer.

Anonyme a dit…

C'est un très beau texte et une belle partie de toi que tu nous dévoiles là, Intrépide. tes mots me font écho, notamment "avoir la nostalgie de quelque chose que l'on a jamais connu", mais qui s'est perdu à jamais, mais non pas seulement chez toi, les temps ont changé, l'humanité n'est plus bercé par ces rêves de chose nouvelles et grandioses qui déterminaient un destin autrefois. Maintenant on s'attend que qu'on nous nourrisse, sans effort. le principe de l'effort il s'est perdu pour laisser place au principe du confort.

ma vie intrepide a dit…

Mlle H., c'est étonnant ce qu'un texte peut évoquer chez quelqu'un. Chacun y voit quelque chose qui le concerne. Je suppose que tu appartiens à ce continent où mes ancêtres se sont perdus (et parfois leur âme quand on y songe en regardant un film comme "the mission").

ça fait un moment que je voulais transcrire ce sentiment. J'espère avoir réussi à le faire avec mes mots, mon histoire.

Guillaume a dit…

Bon je peux faire de l'humour à 2 balles ? donc tu es pour braga ce soir contre le PSG ? lol

bon ok je sors XD je suis nul (peut etre parce que j'ai un we de 4 jours !! huhu champagne :p ou jus d'orange comme j'ai pas les moyens)

Au fait j'aime bien ton image des ronds dans l'eau pour tes tags ;)

ma vie intrepide a dit…

Guillaume, vu que j'aime pas spécialement le PSG....

Pfff pas la peine de la ramener avec ton week end de 4 jours (profites en bien mais je te déconseille le cocktail Champagne/orange, pas sûre que ce soit bon)

Anonyme a dit…

d'où je suis moi? je suis née d'un ventre puis plus rien... nostalgie de ce qu'on a pas connu...je ne connais que trop bien!
bonne soirée

ma vie intrepide a dit…

Bonne soirée à toi aussi ma presque voisine.

Anonyme a dit…

♥️ très bien écrit.