mardi 3 mars 2009

Etre née quelque part


Je suis née au bord de l'eau, même si je déteste cet élément, même si je ne sais toujours pas nager - ou si mal ; bien que mon peuple soit un peuple de pêcheurs et de navigateurs. Là où je suis née les rues sont bordées de palmiers qui ombragent les passants tandis que l'heure est à celle de la sieste. Les trottoirs sont larges et pavés. La ville bourdonne paisiblement, industrieuse, prête à s'animer dès le soir tombé et jusque tard (très tard) dans la nuit. On vit différemment là-bas.
La ville de ma prime enfance possédait jadis un tramway typique et folklorique qui ne s'appelait pas désir celui là. Le chauffeur agitait une cloche afin de prévenir les piétons égarés. Je regrette de ne l'avoir jamais pris. Maintenant les lignes sont rebouchées et il faut prendre le nouveau tram moderne aseptisé, ou prendre le bus pour aller d'un point à un autre ; le bus et ses pieds.
Si vous êtes invité(e)s à manger chez l'habitant, évitez de picorer dans l'assiette car vous ferez pitié et il pensera que vous êtes malade ou que vous avez un appétit de moineau (ce qui revient au même pour lui car le dîner est un repas sacré). Quand sonnera l'heure du café, prenez votre veste : là-bas, un café se prend toujours au dehors, dans le premier troquet qui se trouve sur votre route.
La ville où est né mon père est bâtie sur plusieurs collines. Elle a donné son nom à mon pays. J'aime l'arpenter des heures durant – monter et descendre en suivant la courbe des rues. Je ne la connaissais pas vraiment avant d'en faire la visite guidée, comme une simple touriste, il y a longtemps de cela, et j'en ai appris des choses... J'ai un faible pour la Ribeira, quartier plus que vivant où il ne fait pas bon traîner la nuit. La nuit, il est le paradis des voleurs, escamoteurs, bonimenteurs et autres attrapeurs de monnaie (garder toujours un oeil sur le sien, de portefeuille). Tiens, continuez plutôt. Traversez le fleuve. Poursuivez votre périple en visitant l'une des nombreuses caves qui justement avoisinent ce fleuve, adossées aux coteaux. Profitez-en pour goûter ce vin qui n'a absolument rien à voir avec celui que l'on vous vend ici.
Là-bas je succombe volontiers à la tradition du "tea time" que nous ont légué les anglais avant de s'en repartir chez eux. Chaque coin de rue recèle son salon de thé où, pour quelques pièces, vous pouvez nourrir une horde affamée qui s'en revient épuisée de la plage. Prenez votre temps. Il s'étire de manière plus douce, plus nonchalante, et il y est très facile de s'adonner au farniente quand le soleil vous caresse et que vos yeux se ferment malgré vous. Je dois avoir un peu de sang britannique dans les veines tant j'aime cette heure annonciatrice de la soirée qui commence, que moi aussi j'aurais aimé porter la tenue de cérémonie qui aurait clôt mon parcours universitaire puisque, fatalement, j'aurais fais mes études dans cet Oxford miniature, cette ville rythmée par la vie estudiantine au nom difficile à prononcer.
Je suis née aussi dans un pays européen ultra catholique pour qui avorter était encore considéré comme un péché ici-bas et non un droit - donc condamnable en enfer. Un pays pauvre qui possède des églises dont la magnificence n'a rien à envier à d'autres pays latins (moi qui aime le dépouillement, pour le coup je suis desservie). Un pays paradoxalement tiraillé entre les traditions tenaces et le désir de rattraper le 21ème siècle en jouant dans la cour des grands. Un pays qui cultive les azulejos - ces faïences bleues devenues un art avec les siècles, la saudade - cette mélancolie indéfinissable, blues inclassable, et le fado– cette musique qui a été le témoin des déchirements qu'ont éprouvés ceux qui sont partis vers d'autres terres, d'autres lieux ; qui ont essaimés aux quatre coins de la planète, mes cousins du Québec, du Brésil et d'ailleurs. Nous sommes un peuple de nomades. J'ai ça aussi dans le sang.
Je suis une étrangère là bas - "la française". Ici je ne serais jamais totalement une française. J'aime le pays qui m'a vu naître. J'aime le pays qui m'a vu grandir et vieillir, devenir adulte. Je ne pourrais jamais choisir entre l'un et l'autre. Je suis un mélange ni tout à fait réussi ni tout à fait râté de ces deux amours. Je suis fière de ce mélange, fière d'être née quelque part.

7 Avis intrépides:

Anonyme a dit…

On choisit pas ses parents,
on choisit pas sa famille
On choisit pas non plus
les trottoirs de Manille
De Paris ou d'Alger
Pour apprendre à marcher
Etre né quelque part
Etre né quelque part
c'est toujours un hasard
Maxime le Forestier

Donc...t'es une fille du soleil!!!
Moi j'adore la mer...pas tellement l'eau,mais le bruit des vagues, l'air marin...j'ai grandi dans un petit village perdu ,et...habité un tas d'endroits différents...mais je ne sais pas bien où sont mes racines...
je suis moi...c'est déja pas mal!!
bonne soirée Martienne du Soleil, avec un petit du ;)

Anonyme a dit…

j'ai aimé découvrir le point de départ de ton univers, tes descriptions sont pleines de couleurs et de sons...

ma vie intrepide a dit…

@ Anonyme : et oui je suis une fille du soleil même si je bronze autant qu'une biscotte en été (encore un coup des anglais).

@ Plume vive : merci du compliment. ça fait un moment que je n'y suis pas allée et ça me manque. Un jour, j'expliquerais plus longuement cette saudade qui nous caractérise. Je m'attelle au bébé :).

Myu a dit…

merci pour tes messages et tes tags ^^ et encore je n'ai pas tout lu (vi j'avoue) ca m'a fait reviendre en attendant de reprendre un rythme plus soutenu dans mon ecriture et mes commentaires, je t'adresses une douce pensée ensoleillée ;)

ma vie intrepide a dit…

Un revenant : ça fait toujours plaisir. Merci pour le soleil car ici il pleut (ça change).

Lux a dit…

J'ai changé mon blog de décor grâce au site que tu m'as donné! Merci :)

ma vie intrepide a dit…

De rien Marine, tout le plaisir est pour moi. Chose promise, chose due : je vais poster d'autres photos de Muse dans un billet.