dimanche 22 mars 2009

Ce jour là

Elle aurait dû le faire il y a longtemps, juste après lui à vrai dire mais elle n'avait jamais osé franchir le pas. La lourde porte ne lui inspirait pas confiance, et puis il fallait bien dire aussi qu'elle avait la peur chevillée au ventre mais voilà, il fallait qu'elle le fasse, pour elle bien sûr, mais aussi parce qu'elle était tombée amoureuse et qu'elle voulait être clean avec ça. Ne pas savoir est pire sans doute que de savoir qu'on l'a.

La première visite servait à connaître son passé afin de déterminer s'il y a avait un doute. Les questions étaient extrêmement précises et intimes. Heureusement, le docteur était une femme à la voix très douce et compréhensive. Parfois on tombe sur quelqu'un qui vous donne l'impression de vous juger mais dans ce cas de figure, la femme médecin se souciait vraiment de son patient. Elle lui expliqua longuement que sa démarche était responsable et nécessaire. L'angoisse de la patiente diminua sensiblement, alors elle lui raconta. Elle lui raconta que bien que cela faisait maintenant un an qu'ils étaient séparés, elle avait toujours eu des doutes à son sujet. Son infidélité chronique, maladive, lui avait été balancé sans ménagement un dimanche rayonnant (comme pour souligner l'ironie de la chose). Mais le pire avait été quand on lui avait dit qu'il avait également couché avec un garçon sans aucune protection. C'est ce qui avait déclenché son désir de savoir, mais aussi par respect pour la jeune femme dont elle s'était éprise des semaines de cela.

Le prélèvement accompli, on lui indiqua que le résultat tomberait sous trois jours. Tomberait était bien le mot, comme un couperet. Elle devenait un simple numéro, une anonyme parmi des millions d'autres, conservant son ticket précieusement. Ce ticket qui lui servirait peut être de passeport pour l'enfer.

Oui mais voilà, elle travaillait toute la semaine et les horaires du labo ne collaient pas avec les siens. Les trois jours s'étaient transformés en une semaine, soit une éternité. Une éternité à attendre, à se claquer la tête contre les murs en se traitant d'imbécile.

Le lundi, soit 5 jours après la piqûre, alors qu'elle était encore au travail, elle n'y tint plus. Tant pis. Tant pis si elle devait trois heures. Tant pis si elle devait partir maintenant. C'était sa vie après tout. Alors elle annonça d'une voix tendue qu'elle devait s'en aller sans préciser davantage la raison. Mais son visage était si blanc que son patron ne lui dit rien de plus que : "vas y".

L'angoisse du métro qui se bloque, puisque évidemment dans ce genre de circonstances tout vous freine et vous comptez les minutes avec angoisse. Allait-elle arriver avant la fermeture ? Son coeur battait à tout rompre à mesure que l'on s'approchait. Bientôt elle le saurait. Ses nerfs étaient un vaste champs de bataille où elle ne pouvait plus rien contrôler. Grimper comme une folle l'escalator quatre à quatre et courir le long des trottoirs en bousculant les gens, mais il fallait qu'elle arrive avant l'heure parce qu'elle ne pourrait pas supporter l'attente une journée de plus.

Pourtant, au moment d'ouvrir la porte, elle hésita un court instant. Et puis il fallait bien s'y résoudre. Elle inspira avant d'entrer.

Elle tenait le ticket d'une main crispée, attendant qu'on l'appelle. Elle était livide, ramassée sur elle-même. Puis ce fut son tour, enfin.

Le médecin la laissa seule quelques minutes, le temps de chercher les résultats. Jamais minutes ne parurent plus longues. Le verdict tomba enfin : "Vous êtes séronégative mademoiselle".

"Quoi ? Comment ?". C'était un choc. Elle se le fit répéter deux fois avant de le lire à son tour. C'était écrit noir sur blanc sur le papier. Le soulagement qu'elle ressentit à cet instant était indescriptible. Elle était tellement heureuse qu'elle se leva et qu'elle demanda la permission d'étreindre cette femme qui lui avait délivré la bonne nouvelle. "Bien sûr" acquiesça le médecin d'un sourire, ayant sans doute déjà assisté à ce genre de scène.

Quand elle sortit de là, le soleil brillait. Alors elle commença à pleurer sans pouvoir s'arrêter parmi des passants curieux, étonnés ou indifférents. Peu importe qu'on la dévisage, la vie était belle finalement, comme un film de Franck Capra. Sa vue se brouillait à mesure qu'elle marchait. "Je suis si contente ; je suis tellement contente; plus jamais ça" se répétait t'elle inlassablement en empruntant le chemin qui la ramènerait chez elle. Elle n'aurait pas à subir cette épreuve trois mois plus tard, lui avait assurée son médecin, puisque cela faisait un an qu'elle était seule et qu'elle n'avait aucune relation.

Ce soir là, elle se rendit chez son caviste et descendit les trois quarts de la bouteille de Merlot. Son ivresse n'était pas que dûe aux vapeurs de l'alcool. Ce soir-là elle se sentit vivante comme elle ne l'avait jamais été, un soulagement immense et aussi la conscience que la vie était trop précieuse et que même si l'on est amoureuse, cela ne doit pas rendre aveugle.

Cette histoire se termine ainsi. Cette fille qui marche dans les rues en pleurant de bonheur, c'est moi il y a trois ans. Ce texte m'a été inspiré par ce j'ai vécu ce jour là et par les courts métrages que j'ai regardé hier soir sur Pink TV dans le cadre du sidaction. Vous faire partager ce bout de vie m'est à la fois très difficile mais nécessaire. Il fallait que je l'écrive. J'ai eu de la chance. J'ai eu beaucoup de chance et j'en suis parfaitement consciente.

16 Avis intrépides:

Anonyme a dit…

coucou p'tite Martienne...il t'en arrive des choses... mais je pense que le sida c'est pas la pire des maladies...la pire chose qu'il aurait pu t'arriver est de perdre la capacité d'aimer...vie sans amour/amitié=vie vide de sens...c mon avis bien sûr. Bonne soirée à toi,porte toi bien

ma vie intrepide a dit…

Je l'ai pas perdu ma capacité à aimer. Je l'ai retrouvé et c'est bien mieux ainsi.

Velvetshadow a dit…

Mav tu sais que je te deteste. Oui je te deteste car j'ai pleuré en lisant ton article et cela ne m'etais pas arrivé de me retrouver en mode madeleine devant un article depuis bien longtemps...

Bises

ma vie intrepide a dit…

Désolée Seb, c'était pas le but pourtant. Je voulais partager un truc vraiment intime et pointer le fait, malgré nos certitudes, quand on a aime quelqu'un, parfois on se met en danger à tous les niveaux.

Plume a dit…

Tu m'as fait revivre un truc là... dingue comme on vit des choses intimes et pourtant si communes avec tant d'autres au final.

ma vie intrepide a dit…

Je ne suis pas la seule à l'avoir vécu, c'est vrai ; c'est la façon de le ressentir qui diffère peut être. Et c'est quelque chose d'en avoir déjà parlé mais tout autre de l'écrire, bien plus difficile.

Maladroite a dit…

Je pense que presque tout le monde vit ce moment à notre époque. Mais cela reste un sujet tabou pour la plupart. Malgré ce que tu dis, moi je pense qu'on le vit tous de la même façon. Même ceux qui pourtant n'ont normalement pris aucun risque. On rabâche tellement les oreilles avec ça que ça devient un sujet de paranoïa chez certains. Rien est plus dangereux que l'ignorance et la désinformation.

J'ai fait beaucoup de bêtises, j'ai placé ma confiance dans des personnes qui ne la méritaient vraiment pas. Je ne sais pas comment j'ai fait pour éviter les grossesses et le sida. Le jour ou j'ai fait le test... jy suis aller un peu comme on va à l'abattoir "de toutes façons si je suis clean ça tient du miracle". Et j'ai eu mon miracle.
Maintenant ma plus grande angoisse c'est de comprendre pourquoi je ne suis jamais tombée enceinte malgré tous mes risques pris. Est ce que je suis stérile ? Est ce qu'ils l'étaient ? Est ce juste un coup de pouce de la vie ?

Bref, ça n'a rien à voir avec toi et ton vécu mais pour moi cette histoire n'est pas émouvante. Elle est juste triste. Triste parce que malheureusement c'est devenu un passage obligé pour la plupart des gens.

Bise quand même ;) ! The invisible girlfriend

ma vie intrepide a dit…

C'est une histoire commune c'est vrai, après tout est question de ressenti. Si je l'ai écris c'est pour rebondir sur le sidaction parce que malgré tout ce que l'on croit, les choses ne bougent pas tant que ça. J'ai eu la faiblesse (oui je dis bien faiblesse) de faire confiance à quelqu'un qui ne la méritait pas alors que j'avais toujours martelé "ça ne m'arrivera pas". Quand on aime quelqu'un c'est un autre son de cloche.

Ce n'est pas une histoire triste ni émouvante pour moi, juste un moment de ma vie, difficile, qui m'a permis de comprendre la chance que j'ai eu. J'ai essayé de retranscrire les sentiments qui m'ont traversé l'esprit durant cette semaine. Cela relativise bien des choses. Un témoignage où chacun peut y voir ce qu'il veut, rien de plus, rien de moins.

Merci de ton passage "invisible girlfriend" et d'avoir exprimé ton point de vue. Bonjour de ma part à Séb :).

Lux a dit…

Nous l'avons fait en couple, histoire d'être sûrs avant d'arrêter la capote. Je ne stressais pas trop, nous n'avions pas eu de situation "à risques" comme la tienne, c'est surtout les prises de sang qui m'angoissent en fait :D

Merci de t'inquiéter pour moi, d'ailleurs j'ai encore eu mal hier, c'est localisé dans les yeux, je vais bientôt chez le médecin :)

ma vie intrepide a dit…

Tu me tiens au courant dès que t'as des nouvelles de ton toubib Marine ?

Pff se faire piquer c'est de la broutille. Je donnais mon sang (je suis O nég) régulièrement et la vue du sang ne me fait pas peur (normal pour quelqu'un qui aime les histoires de vampires^^)

Anonyme a dit…

re ! désolée j'ai due mal m'exprimer à un moment ! Ce n'est pas "ton morceau de vie" qui est triste. C'est le fait que cette situation soit désormais commune à une grande majorité :( ! Que tant de gens soient assez stupide comme nous... (owi qu'est ce qu'on a pu être nulles!). Mais le plus triste dans notre cas (qui se ressemble un peu sans être semblable) c'est de ne pouvoir faire confiance aux gens (en dehors du fait qu'on est pu être assez sottes pour se laisser manipuler, c'est "humain" je pense).

Les valeurs se perdent...

ps : Je passerai ton bonjour à seb tout à l'heure, ça lui fera plaisir, lui qui est plié en deux dans notre lit après avoir récupérer mes microbes ("mais nannn charlottes t'es pas malade c'est dans ta tête", il doit bien le sentir que c'était dans ma tête là, le gros malin :D !).

Bonne journée ! :)

ma vie intrepide a dit…

@ Invisible Girlfriend : j'ai compris ton commentaire précédent. Cette histoire était triste au moment où je l'ai vécu (surtout parce que j'avais accordé ma confiance à un sombre connard et qu'il avait mis ma vie en danger... il y d'autres choses à dire sur l'idée de confiance mais je n'ai pas trop envie de m'étaler pour le moment - ou peut être jamais d'ailleurs). J'ai voulu écrire ça afin que chacun puisse se reconnaître ; ma manière à moi de contribuer au sidaction, parce que non, ça n'arrive pas qu'aux autres et oui, j'ai eu une putain de chance).

Sinon, j'espère que Séb se rétablira au plus vite le pauvre (:

Guillaume a dit…

tres beau texte en tout cas sur une histoire à la fois banale (hélas, car on parle de la "Vie") et, d'autre part, intime sur une question qui reste au jour d'aujourd'hui délicate à traiter.

La maladie, notamment le sida, interroge la société mais au dela de ces questions nous devons mettre en oeuvre des moyens efficaces de prévention pour éradiquer ce mal. La prévention est donc le maitre mot. Cependant, devons-nous également s'interroger sur les peurs maladives des administrations et parents d'élèves à vouloir interdire les distributeurs de capotes dans certains lycées sous prétexte que ceux-ci inciterait les "jeunes" à copuler... Bref, je m'égare comme d'hab'

Le sida est en tout cas un mal symbole de notre temps : grave et intime. Il est parfois difficile d'en parler, de décrire même les sentiments que cela peut engendrer. En te lisant on comprend que l'écriture peut devenir un autre mode d'expression pour sortir ces maux (ou mots ?). J'espère que tout va mieux maintenant

Au plaisir de te lire
Bien à toi

ma vie intrepide a dit…

Merci pour ce long commentaire, Guillaume, toi qui préfère utiliser le dessin (et le pentel) pour t'exprimer.

J'en ai parlé autour de moi sur cet épisode, mais le fait de l'écrire est une autre dimension. L'encre, même virtuelle, reste durablement. C'est un moyen de se défaire d'un poids.

Sinon ça va mieux maintenant à ce niveau tout au moins....

Guillaume a dit…

une autre dimension peut etre comme tu le dis, mais en fait, peu importante la méthode si celle ci permet d'oublier certaines choses et de se défaire d'un poids comme tu l'écris si bien.

Mais j'aimerais ajouter un truc sans importance surement mais en commencant ton article j'ai tout de suite deviné que la personne de l'histoire c'était toi. L'accroche des mots et de leur description me faisait penser à une seule et meme personne...

ma vie intrepide a dit…

Tout simplement parce que j'avais du mal à commencer par "je" et qu'à l'évidence, en conclusion il fallait que je finisse par "moi".

Et ces 23 H bd ? Tu es de la partie ou non :) ?