jeudi 2 février 2023

N'habite plus à l'adresse indiquée

Je me suis toujours demandée comment étaient les appartements dans lesquels j'ai vécu des années ; qui en sont maintenant les locataires et comment ils ont emménagé leur intérieur. On appelle ça de la nostalgie. Ou juste de la simple curiosité. Mais je suis certaine de ne pas être la seule à éprouver ce sentiment. 

Souvent quand je passais devais le numéro 306 de la rue Solférino, mon tout premier deux pièces à Lille, je me posais sans cesse cette question en levant ma tête au premier étage. Les rideaux étaient la plupart du temps tirés, signe que quelqu'un investissait les lieux. 

Certains croient aux fantômes. Moi je pense que les spectres sont tous ces gens qui ont vécus dans ces endroits. Leurs disputes, leur coups de colères. Leurs pleurs et leurs bonheurs. Leurs rires. Tous ces drames et petites ou grandes joies qui émaillent l'existence de tout être humain. 

Parfois oui, les drames sont plus profonds mais là on n'est plus dans le domaine du spectre mais de la malédiction. Et de temps à autre il s'agit sans doute de regrets d'avoir fait ou pas fait ; ou de remords de ne pas avoir été à la hauteur.

Certes, je l'ai sacrément aimé ce rez-de-chaussée de Wazemmes même si souvent je sortais pour m'accrocher à tous ceux qui éclusaient tranquillement leurs bières accoudés à mes grandes fenêtres en pensant que personne n'habitait là. La petite cour à l'abri des regards où nous en avons fêté des choses, anniversaires et autres raisons toutes trouvées pour juste simplement nous réunir. Ce long contre-champs vers la chambre, lorsque j'étais allongée sur le canapé. Mais il est aussi l'endroit où j'ai perdu une partie de ma famille ; ma famille à quatre pattes, mes petits poilus que je chéris encore aujourd'hui et que je pleure parfois à l'abri des regards. 

Alors, à ta question, mon amoureuse : non je ne regrette pas être partie, avoir quitté cet endroit dans lequel j'ai vécu durant dix longues années et imprégné de mon spectre fantasque chaque recoin de ces 58 mètres carrés. Toi qui t'apprêtes aussi à faire le grand saut vers un espace plus grand, je te dis et le répéterai sans cesse : ne regrette rien. Une page se tourne et il est bon de repartir sur un tableau propre, blanc. Je suis là en cas de coup dur ou de blues, ne l'oublie pas.

Nous sommes tous des fantômes qui hantons les maisons, nos anciens lieux de vies, mais contrairement aux spectres, nous nous  délestons de nos chaines à chaque nouveau voyage et, pour ma part, depuis que je suis ici, à Bruxelles, jamais ces chaînes ne me sont semblées plus légères.