L’immeuble
ne paie pas de mine. Il aurait bien besoin d’un relooking extrême
tant la façade est fanée. La devanture, véritable vitrine, jadis
boucherie, attire inévitablement badauds et passants, qui
s’installent régulièrement sur les rebords des larges fenêtres,
en éclusant à qui mieux mieux leur canette de bière de mauvaise
qualité – il y a un Lidl non loin. Ou encore en laissant restes de
sandwich et papiers d’emballage.
Mais
cet immeuble, qui ne paie pas de mine, révèle pourtant des
trésors ; un chaleureux cocon où, comme dans une famille
recomposée, chacun y trouve sa place dans un joyeux bordel... ou
encore un calme tout relatif après la tempête du samedi soir.
Celle ou celui qui décide d’y poser ses bagages n’a plus
vraiment envie de quitter ces lieux.
Prenez
par exemple le dernier étage. On grimpe bien vaillamment les deux
premiers escaliers puis, passée cette étape importante, le souffle
se fait plus rare tandis que la minuterie s’éteint automatiquement
au bout des 75 secondes fatidique. La peste soit de cette minuterie
lorsqu’on se retrouve coincé(e) dans le noir le plus total en
tâtonnant pour atteindre le bouton. Sésame ouvre toi… non, en
fait, plutôt « et
que la lumière soit ».
On
arrive enfin, le râle digne d’un orque échoué sur la plage.
Honneur
aux dames, d'abord :
Il
y a M.
M.
la sportive aux dreads qui arrivent jusqu’au bas des reins. Elle
frappe parfois à votre porte pour savoir comment ça va, vous donner
un coup de main à l’occasion quand vous avez subi les outrages
d’une inondation ; arrive juste au moment où vous avez le
plus besoin, l’instant où vous êtes à deux doigts de péter un
câble parce que la soirée part à vau-l’eau, sans faire de
mauvais jeux de mots. Vous partagez un peu de bon vin tout en
commentant un film de vampires de manière drolatique et vous vous
rendez compte que vous avez passé une bien belle soirée, en
définitive ; spontanée certes, mais qui vous redonne le moral
à votre blues permanent.
Puis
il y a son colloc’ J.
On
appelle J. par son diminutif, toujours, jamais par celui qui est
inscrit sur la boîte aux lettres. Cette même boîte que le facteur
s’évertue à inverser en glissant le courrier au petit bonheur la
chance.
J.
a toujours un sourire aux lèvres, un sourire qui donne foi en l’être
humain parce que vrai. C’est un jeune homme affable et de bonne
humeur, qui vous sauve votre soirée en changeant cette maudite roue
de vélo qui ne veut décidément pas sortir de sa gaine. J. est
musicien également, et parfois on entend un son mélodieux venir de
là-haut – les cieux du 3ème
étage. Apaisant et agréable. Vous risquez de tomber sur un bœuf
improvisé où il claque quelques mesures sur sa guitare folk. Alors
vous vous asseyez car vous êtes conviée à la bière de l’amitié ;
celle où l’on prend le temps de se poser après une rude journée.
Un
étage plus bas, vous avez B., l’ancien étudiant qui travaille de
nuit et que vous croisez quand il s’en va justement au turbin,
comme un de ces millions de galériens, dont vous faites partie,
aussi. Vous lui trouvez la mine bien pâle. Vous vous inquiétez
alors, lui demandant comment ça va, et écoutant attentivement la
réponse à la question, parce qu’un « ça
va ? »
est plus qu’une formule de politesse.
Vous
le voyez souvent nanti d’un sac – il va faire ses courses au
Carrefour du coin, ou d’un sac à dos tout court – il s’en va
pour quelques jours. B. est un jeune homme très discret. Il aime
recevoir et il n’est pas rare qu’on entende des éclats de
rire dans le couloir, à l’arrivée comme au départ.
Encore
plus bas, juste au dessus, il y a le petit nouveau, le benjamin de la
famille, M. Quoique, niveau taille, le benjamin est, comme souvent,
le plus grand de la fratrie.
M.
avec son look de petit fils à papa sur qui on s’arrête la
première fois en ayant un sourire aux lèvres. Pensez-donc, ici on
est dans un quartier bohème
à défaut d’être bobo.
Mais il ne faut pas se fier à cette première impression, qui est
fausse, comme parfois les premières impressions. M. est en fait
quelqu’un de raisonnable qui s’inquiète de savoir s’il n’y a
pas eu trop de bruit le soir où il y a eu du monde chez lui. Et ça,
croyez-moi, ça vaut tout l’or du monde et rend plus supportable
les soirs où les basses sont un peu trop fortes.
Et,
enfin, revenons à la façade. Le rez-de-chaussée. Votre serviteur.
L’aînée.
Il
y a moi donc, avec son côté maternel un peu italien, certainement
méditerranéen et foncièrement latine, qui aime cuisiner pour tout
le monde parce que, hérédité ou non, votre serviteur ne peut
s’empêcher de cuisiner pour tout un régiment - les proportions et
nous, ça fait deux ! Il y a moi aussi qui, avide de partager,
prête bien volontiers ses rêves pelliculés sur DVD achetés
d’occasion. Celle aussi qui ouvre volontiers la porte quand elle
comprend que, on a beau s’acharner sur la serrure, celle-ci ne veut
pas céder.
C’est
un immeuble qui ne paie pas de mine, c’est vrai, mais comme dans
toute alchimie, il ne faut surtout pas se fier aux alliages. Comme
pour toute première rencontre, il ne faut pas se fier à l’apparence
mais laisser le temps faire son œuvre comme tout vin qui se bonifie
avec l’âge.
L’apparence
est, comme souvent, trompeuse.
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